Yaël, 37 ans – Paris
Je suis née à Paris dans une famille juive séfarade qui a toujours accordé une grande importance aux rites et traditions, et mon éducation n'a pas fait exception. Les attentes étaient claires : études sérieuses, mariage avec un homme juif de bonne famille, et un foyer conforme aux coutumes. C'est ainsi que je me suis retrouvée mariée pendant 13 ans à Raphaël, un chirurgien-dentiste émérite, et que nous avons bâti une vie stable avec nos deux magnifiques enfants, Nathan 12 ans et Emma 10 ans.
Pourtant, malgré cette apparente stabilité, ma vie a pris un tournant inattendu. Un jour, en parcourant les réseaux sociaux, j'ai rencontré Louise, une femme lesbienne aux cheveux courts et tatouée qui avait l'air de venir d'un tout autre monde. C'était étrange, je ne savais pas pourquoi, mais il y avait entre nous une connexion immédiate et puissante. Louise était tout ce que je n'étais pas : elle venait d'un milieu laïc, aimait l'art moderne, la musique alternative, et avait une façon décontractée de voir la vie. Nos conversations étaient fluides, naturelles. Nous avons commencé à échanger, timidement au début, puis de plus en plus régulièrement.
À mesure que nos conversations devenaient plus profondes, j'ai réalisé que mes sentiments allaient bien au-delà de l'amitié. C'était déroutant et excitant à la fois. J'ai dû d'abord faire face à ce que cela signifiait pour moi, pour mes croyances, et pour la vie que j'avais construite.
Admettre cet amour pour Louise a été un choc
J'ai dû faire un véritable "coming out" envers moi-même, ce qui était un vrai bouleversement. Le sentiment d'aller à l'encontre de mes croyances, de tout ce que j'avais appris, m'a bouleversée. Puis il a fallu le dire à Raphaël. Je ne savais pas comment il allait réagir. Le jour où je lui ai annoncé, il y a eu un long silence avant que la colère ne s'empare de lui. Il m'a dit des choses douloureuses, a remis en question ma fidélité et a menacé de ne plus me laisser voir nos enfants. J'ai pleuré ce soir-là, submergée par la culpabilité et le doute.
Venait ensuite le tour de ma famille et de mes proches. Les amis athées ou sans religion, ont plus facilement accepté la situation et m'ont soutenue. Pour les amis juifs ce fut plus compliqué. Leurs réactions étaient diverses, mais toutes teintées d'incompréhension. Certains ont essayé de me convaincre de rester dans le mariage "pour le bien des enfants". D'autres ont tout simplement coupé les ponts. Mon coming out au sein de notre communauté religieuse a été particulièrement difficile. Les chuchotements, les regards dédaigneux, et les sermons sur la moralité m'ont fait sentir que je n'avais plus ma place parmi eux.
Le plus difficile a finalement été les enfants, quand j'ai dû brutalement leur annoncer que j'allais quitter l'appartement pour aller vivre provisoirement chez Louise. J'ai pris la responsabilité de cette décision alors que c'est Raph qui m'y a contrainte. Il m'a dit "Si tu veux divorcer ok, mais t'as une semaine pour faire ta valise et te barrer d'ici. Je ne supporterais pas de te voir à ma table en rentrant du boulot. Respecte-moi et va-t'en s'il te plait". Ce que j'ai fait par la force des choses.
Mon fils a absorbé toute la colère de son père et a refusé de me parler pendant trois mois. J'étais remplie de culpabilité et j'avais l'impression de lui briser sa jeune vie d'enfant. C'était terrible pour moi de voir mon propre fils incompréhensif, dirigé, influencé par les pensées négatives de certains membres de la famille. Il me reprochait de me tourner vers une goya (femme non juive). Ma fille, elle, a été un peu moins perturbée. Elle ne voulait pas qu'on lui "pique" sa maman et ne voulait pas que je me remette avec quelqu'un d'autre que son papa, que ce soit avec un homme ou une femme. J'ai dû rapprivoiser mes enfants, passer du temps seule en dehors de chez Louise, le temps de trouver un appartement pour les accueillir. Il fallait du temps pour qu'ils digèrent le divorce et prenne leurs marques. Je ne voulais pas de suite leur imposer Louise. C'était trop tôt. Je voulais par l'échange, la discussion, leur faire comprendre petit à petit, que c'est cette femme qui me rendait heureuse. Et je devais les rassurer en leur faisant bien comprendre que leur père était quelqu'un de bien mais que malheureusement je n'étais plus épanouie à ses côtes.
L'homosexualité dans le judaïsme, un pêché
La perception de l’homosexualité dans la communauté juive peut varier considérablement en fonction de plusieurs facteurs, y compris la dénomination religieuse, la culture locale, l'éducation, et le niveau de traditionalisme ou de progressisme. C’est assez compliqué et je ne vais pas tout expliquer ici mais il est vrai que l'homosexualité masculine n'est pas vraiment tolérée dans la Torah. Certains représentants religieux déclarent que l’homosexualité, d’après les textes sacrés, est péché. Mais il n’y a aucune sanction, contrairement à l’adultère dans l’islam, par exemple. En revanche, la perception des lesbiennes dans la communauté juive, elle, peut être influencée par des facteurs culturels et familiaux. Dans certaines familles ou sous-cultures, la tradition et l'honneur familial jouent un rôle important, ce qui peut rendre difficile pour les lesbiennes de révéler leur orientation. Cependant, dans d'autres cas, la culture juive peut mettre l'accent sur des valeurs telles que la justice sociale, l'amour familial et l'accueil, ce qui peut faciliter l'acceptation des femmes homosexuelles ou bisexuelles.
Alors que les lieux de socialisation juive, synagogues, centres culturels, n'autorisent pas une affirmation gay ou lesbienne en France, seule l’association LGBT+ appelé Beit Haverim milite dans le sens d'une plus grande reconnaissance de l'homosexualité parmi la communauté juive. Je me suis intéressée à quelques militantes connues (malheureusement aujourd’hui décédées) et cela m’a aidée dans ma quête identitaire comme Margot Heuman, lesbienne rescapée de l'Holocauste ou encore Elana Dykewomon, écrivaine et dramaturge lesbienne juive. Heureusement, certaines personnalités françaises comme Élise Goldfarb ou Julia Layani s’expriment souvent dans les médias pour parler de conciliation entre foi et orientation sexuelle.
Le divorce religieux a été long et éprouvant
La séparation faite, dans un premier temps chez Louise pendant deux mois, j'ai trouvé un appartement dans le 4e arrondissement. Le divorce civil a été long et douloureux, mais c'est le divorce religieux qui m'a le plus effrayée. Devant le tribunal rabbinique, c'est le mari qui détient le pouvoir de répudier sa femme, et je savais que Raphaël n'allait pas faciliter les choses. J'ai dû batailler pour obtenir mon guet (acte de divorce religieux), chaque étape était un nouvel obstacle.
Malgré tout cela, je savais que je ne pouvais pas revenir en arrière. J'avais trouvé en Louise un amour vrai, authentique, et elle était ma lumière dans cette obscurité. Elle vivait mal le fait d'être cachée depuis plus d'un an mais je n'avais pas le choix, pour nous préserver que de laisser passer du temps pour que tout le monde puisse encaisser et l'accepter.
C'est un chemin difficile, plein de défis, mais c'est aussi rempli de bonheur et d'amour. Je suis enfin libre de vivre ma vie comme je l'entends, et je suis entourée des personnes qui comptent le plus pour moi. Ce combat en valait la peine.
Aujourd'hui, nous vivons ensemble avec Nathan et Emma que l'on a une semaine sur deux. Mon fils accepte enfin mes choix de vie et s'entend très bien avec ma femme. C'est une grande victoire et cela me comble de bonheur. Louise et moi, sommes un couple mixte, ou règne, l'amour et le respect. La religion n'est pas un problème dans notre couple, car chacune a pris ses marques et s'est adaptée à l'autre. Et notre plus belle réussite est notre mariage que nous avons célébré il y a quelques semaines lors d'une cérémonie laïque avec une jolie fête aux couleurs de mes traditions, d'un bon repas fait par un traiteur casher. Nous étions entourées de tous nos proches, y compris mon père et mon grand-père qui, il y a quelques mois encore, étaient réticents sur cette relation.
Photos non contractuelles.
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