Mon combat pour être un homme, juif et homosexuel à Paris
- Élodie
- 10 juil. 2024
- 4 min de lecture
Anonyme, 24 ans - Paris
J’ai 24 ans, j’habite Paris, je suis étudiant en droit, et je suis gay. Mais ça, personne dans ma famille ne le sait. Pour eux, je suis le fils sérieux, celui qui respecte les traditions, qui vient à la synagogue pour les grandes fêtes, qui fait le kiddouch à table, qui épouse les valeurs familiales. En apparence, je suis tout ce qu’un jeune homme juif doit être. Mais dans mon cœur, dans mon corps, je vis une autre réalité. Une réalité que je cache, parfois avec douleur, souvent avec peur.
Être homosexuel, ce n’est pas un choix. C’est un fait. Et c’est aussi, dans mon cas, une source permanente de tension intérieure. Car mon identité ne se divise pas en deux blocs étanches : je suis à la fois gay et juif, et ces deux facettes de moi cohabitent difficilement, dans un monde où elles semblent se rejeter.
Les amours clandestines d’un garçon bien élevé
J’ai eu une dizaine de relations depuis mes 17 ans. Des histoires plus ou moins longues, plus ou moins intenses. Deux d’entre elles ont compté profondément. J’ai aimé, j’ai été aimé. Mais ces histoires se sont toujours déroulées dans l’ombre, jamais à la lumière du jour. Je n’ai jamais pu présenter un petit ami à mes parents, ni même à mes cousins. Pour eux, je suis célibataire, point. Ils pensent que je suis exigeant, trop concentré sur mes études. Ils ne savent pas que j’ai partagé des lits, des voyages, des "je t’aime" avec des hommes que j’ai dû effacer de mes photos et de mes récits.
Je me suis surpris à jalouser mes amis — gays eux aussi — qui vivent leur amour au grand jour, qui emmènent leur copain chez leurs parents pour Shabbat, qui postent des stories où ils s’embrassent, qui n’ont pas à mentir quand ils sortent. Je les admire, mais je les envie aussi. Et parfois, cette envie se transforme en tristesse, voire en honte. Parce que je n’ai pas encore ce courage, ou cette liberté.
La Torah, les textes, et la douleur d’un rejet sacré
Le plus douloureux, c’est ce que dit ma propre religion. Dans le Lévitique, on peut lire : "Tu ne coucheras point avec un homme comme on couche avec une femme : c’est une abomination." Ces mots me sont tombés dessus quand j’avais 14 ans. À l’époque, je savais déjà que j’étais différent. Mais les lire, noir sur blanc, dans un texte considéré comme sacré, a été un choc. Pendant longtemps, j’ai cru que D.ieu me haïssait. Que ma foi et mon orientation étaient inconciliables. Que je devais choisir.
J’ai essayé. J’ai prié, je me suis imposé des jeûnes, j’ai cherché des "thérapies" dans des forums en ligne. Tout ça n’a mené qu’à plus de solitude. Ce n’est qu’en découvrant d’autres voix juives, plus modernes, plus humaines, que j’ai commencé à sortir la tête de l’eau. Certains rabbins, notamment dans le judaïsme libéral, ont une lecture différente. Ils parlent d’amour, d’égalité, de dignité. Ils rappellent que la Torah a été écrite dans un contexte, et que l’essence de la foi juive est la justice et la compassion. Ces discours m’ont aidé à retrouver un peu de paix intérieure.
La famille : entre amour et peur du rejet
Je suis très proche de mes parents. Mon père est discret, parfois dur, mais toujours présent. Ma mère est douce, chaleureuse, et très croyante. Ils m’aiment. J’en suis sûr. Mais est-ce qu’ils m’aimeraient encore de la même façon s’ils savaient que j’aime les hommes ? C’est la question qui me hante. C’est aussi ce qui me retient de tout leur dire.
J’ai souvent imaginé la scène. Mon coming out. Je vois ma mère pleurer. Mon père quitter la pièce. Je les entends dire que ce n’est "pas naturel", que "ce n’est pas pour ça qu’on t’a élevé". J’ai peur qu’ils me considèrent comme un étranger. Qu’ils me rejettent ou, pire, qu’ils m’aiment moins. Cette peur est paralysante. Elle me pousse à me taire, à sourire quand ma tante me demande si j’ai "une petite amie en vue", à inventer des excuses quand un garçon que j’aime me propose de venir chez moi.
Je rêve d’un judaïsme plus tolérant à Paris
Je ne suis pas le seul dans ce cas. À Paris, il y a toute une génération de jeunes juifs LGBTQ+ qui vivent ce tiraillement entre foi et identité. Certains fuient la communauté. D’autres vivent dans un entre-deux permanent, comme moi. Mais il y a aussi des espaces d’espoir : des associations comme Beit Haverim, des synagogues libérales qui accueillent les couples gays en toute discrétion, des groupes de parole où l’on peut enfin dire ce qu’on vit sans peur du jugement.
Les mentalités évoluent, lentement. De plus en plus de jeunes rabbins osent aborder le sujet. Des parents apprennent à écouter. Mais dans les milieux traditionnels, le silence est encore lourd. L’homosexualité reste taboue. Beaucoup préfèrent détourner le regard. Faire "comme si ça n’existait pas". C’est ce silence qui fait le plus de mal. Parce qu’il enferme. Il empêche de respirer.
Un avenir libre, un jour peut-être

Je ne sais pas quand je ferai mon coming out. Je ne sais pas si je le ferai un jour. Mais ce que je sais, c’est que je ne veux plus avoir honte. Je veux vivre ma vie pleinement, aimer un homme sans me cacher, construire un foyer où l’on fête Hanouka avec des enfants, où l’on célèbre Shabbat dans la paix et l’amour.
Je ne veux pas choisir entre être juif et être moi. Je veux pouvoir être les deux. Et je crois que c’est possible. Il faudra du temps, du courage, des larmes sans doute. Mais je veux croire que demain, dans une même pièce, pourront se tenir un sefer Torah, deux hommes qui s’aiment, et une famille qui les bénit.